Sainte-Claire Avocats

Reclassement et contestation judiciaire de l’avis du médecin du travail : les dernières décisions marquantes de la Chambre sociale

Reclassement consécutif à l’avis d’inaptitude

  • Limite de la dispense de reclassement

Lorsque le médecin du travail mentionne expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur n’est pas tenu de rechercher un reclassement.

Tel n’est pas le cas lorsque l’avis d’inaptitude mentionne expressément que l’état de santé du salarié faisait obstacle sur le site à tout reclassement dans un emploi.

L’employeur est en effet tenu, dans cette hypothèse, de rechercher une solution de reclassement hors de l’établissement auquel le salarié était affecté.

Cass. Soc. 13 décembre 2023 n°22-19.603

  • Incidence du refus d’une proposition de reclassement sur l’obligation de reprise du salaire

Même dans l’hypothèse où l’employeur est présumé avoir respecté son obligation de recherche de reclassement, il doit, en cas de refus de la proposition de poste faite au salarié de reclassement prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail, reprendre le paiement du salaire à l’expiration du délai d’un mois à compter de l’avis médical, ce, jusqu’à l’issue de la procédure découlant de l’inaptitude (reclassement ou licenciement).

Cass. Soc. 10 janvier 2024 n°21-20.229

Par ailleurs, une contestation judiciaire de l’avis du médecin du travail ne suspend pas ce délai d’un mois.

Cette position, si elle se conçoit du point de vue du salarié placé dans une situation d’attente prolongée quant à son sort, est aussi de nature à dissuader l’employeur d’aller en justice au regard des délais de traitement du contentieux dont l’issue sera aléatoire.

Cass. Soc. 10 janvier 2024 n°22-13.464

 

Contestation de l’avis médical

Pour mémoire, le salarié ou l’employeur peut saisir le conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond, d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale (L.4624-7 du code du travail) dans les 15 jours à compter de la notification de l’avis (R.4624-45 du code du travail).

  • Point de départ du délai de contestation de 15 jours

Un rappel de la Cour de cassation : en l’absence de preuve de la notification au salarié de l’avis d’inaptitude, le délai de 15 jours de contestation de l’avis ne court pas.

Ainsi, la production par l’employeur d’un courriel reçu du médecin du travail, attestant que la salariée s’était rendue personnellement dans les locaux de la médecine du travail à une date déterminée pour récupérer son avis d’inaptitude et s’en faire expliquer la teneur ainsi que ses conséquences n’est pas considérée comme une preuve suffisante de la remise manuelle à l’intéressée.

Plus précisément, selon les juges, « aucun élément ne permettait de retenir que l’avis d’inaptitude dactylographié mentionnant les voies et délais de recours par le salarié ou l’employeur avait été remis personnellement à la salariée à l’issue de la visite médicale ».

Cass. Soc. 13 décembre 2023 n°21-22.401

  • Incidence de la mention erronée de l’emploi occupé par le salarié dans l’avis médical

Le salarié qui constaterait que l’intitulé du poste figurant sur l’avis d’inaptitude est inexact, ne peut se fonder sur cette irrégularité pour contester ultérieurement la légitimité de son licenciement pour inaptitude.

En l’absence de contestation de l’avis selon la procédure accélérée, ce dernier s’impose en effet aux parties et au juge saisi ultérieurement de la contestation du licenciement.

La Cour de cassation précisant, à ce titre, que le juge saisi de la contestation de l’avis peut examiner les « éléments de toute nature » ayant conduit au prononcé de l’inaptitude.

Cass. Soc. 25 octobre 2023 n°22-12.833

Cette précision est bienvenue car le code du travail fait uniquement référence, s’agissant du champ de la contestation, aux éléments « de nature médicale », ce qui pouvait être interprété comme très restrictif.

  • Rôle du juge saisi d’une contestation d’avis

Lorsque le juge est saisi d’un tel recours, il ne peut pas se contenter de décider que l’avis est irrégulier et l’annuler : il lui incombe de substituer à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d’instruction.

Cass. Soc. 25 octobre 2023 n°22-12.303

La Haute juridiction ne fait que rappeler ici le principe pragmatique issu du code du travail. Si le juge devait en effet se limiter à annuler un avis, les parties se retrouveraient alors à devoir réinitier une procédure d’inaptitude : saisine du médecin du travail et émission d’un nouvel avis… pouvant de nouveau être contesté !

  • Procédure de contestation et droit au procès équitable

Dans le cadre de l’examen de la contestation de l’avis, le Conseil de prud’hommes peut ordonner une mesure d’instruction confiée au médecin inspecteur du travail.

Les conditions de recours à cet expert ont été considérées comme respectant le principe du droit à un procès équitable.

Dans l’affaire portée devant la Cour, l’employeur invoquait l’absence d’impartialité du médecin inspecteur du travail dans la mesure où ce dernier est le conseil des médecins du travail exerçant un contrôle des services de santé.

Les juges ne l’ont pas suivi, rappelant notamment que d’une part, l’employeur peut mandater un médecin pour prendre connaissance des éléments médicaux ayant fondé l’avis et que, d’autre part, le médecin inspecteur peut légalement être récusé s’il a été consulté par le médecin du travail pour rendre son avis d’inaptitude.

Cass. Soc. 10 janv.2024 n°22-13.464

 

A noter que le médecin inspecteur du travail n’ait tenu de communiquer au médecin mandaté par l’employeur que les éléments médicaux ayant fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émises par le médecin du travail, à l’exclusion de tout autre élément porté à sa connaissance dans le cadre de l’exécution de sa mission.

Cass. Soc. 13 décembre 2023 n°21-22.401

Delphine ANDRE